đŸ„© Peut-on parler de “steak” vĂ©gĂ©tal ? Le Conseil d’Etat remet la question sur la table

“Steak”, “bacon”, “escalope”
 comment dĂ©signer des produits d’origine vĂ©gĂ©tale ? En 4 Ă©pisodes, deux annĂ©es d'Ă©changes et de dĂ©cisions lĂ©gislatives et judiciaires

Dans cet article

“Steak”, “bacon”, “escalope”
 peut-on utiliser ces dĂ©nominations pour dĂ©signer des produits d’origine vĂ©gĂ©tale ? Entre dĂ©crets et dĂ©cisions du Conseil d’Etat, cela fait maintenant deux ans que le lĂ©gislateur et les juges se prĂ©occupent de cette question, sans qu’une rĂ©ponse claire n’émerge.

Nous revenons sur cette sĂ©rie qui se joue (pour l’instant) en quatre Ă©pisodes.

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Episode 1 : Le premier décret

❗ Rappel

L’article L. 412-10 du code de la consommation, crĂ©Ă© en 2020, prĂ©voit que les dĂ©nominations utilisĂ©es pour dĂ©signer des denrĂ©es alimentaires d'origine animale ne peuvent pas ĂȘtre utilisĂ©es pour dĂ©crire, commercialiser ou promouvoir des denrĂ©es alimentaires comportant des protĂ©ines vĂ©gĂ©tales.

Il prĂ©voit Ă©galement qu’un dĂ©cret devra venir fixer la part de protĂ©ines vĂ©gĂ©tales au-delĂ  de laquelle cette dĂ©nomination n'est pas possible, dĂ©finir les modalitĂ©s d'application de cette interdiction ainsi que les sanctions en cas de manquement.

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En juin 2022, un premier dĂ©cret a donc Ă©tĂ© adoptĂ© afin d’encadrer l’utilisation de certaines dĂ©nominations pour dĂ©crire, commercialiser ou promouvoir des denrĂ©es contenant des protĂ©ines vĂ©gĂ©tales.

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Que prévoyait le décret de 2022 ?

Il prĂ©cisait qu’il Ă©tait interdit d’utiliser, pour dĂ©signer un produit transformĂ© contenant des protĂ©ines vĂ©gĂ©tales :

  1. Une dénomination légale pour laquelle aucun ajout de protéines végétales n'est prévu par les rÚgles définissant la composition de la denrée alimentaire concernée ;
  2. Une dénomination faisant référence aux noms des espÚces et groupes d'espÚces animales, à la morphologie ou à l'anatomie animale ;
  3. Une dénomination utilisant la terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie ou de la poissonnerie ;
  4. Une dénomination d'une denrée alimentaire d'origine animale représentative des usages commerciaux.

Cependant, il soulignait que certains termes pouvaient encore ĂȘtre utilisĂ©s pour dĂ©signer des denrĂ©es alimentaires d'origine animale qui contiendraient des protĂ©ines vĂ©gĂ©tales, dĂšs lors que la proportion de protĂ©ines vĂ©gĂ©tales ne dĂ©passait pas un certain pourcentage (celui-ci Ă©tant fixĂ© en annexe).

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Episode 2 : L’intervention du Conseil d’Etat sur ce dĂ©cret

La rĂ©ponse du Conseil d’Etat en tant que juge de l’urgence

Le deuxiĂšme Ă©pisode s’est jouĂ© devant le Conseil d’Etat. En juin 2022, il s’est d’abord prononcĂ© sur ce dĂ©cret en tant que juge du rĂ©fĂ©rĂ© (autrement appelĂ© juge de l’urgence). Cet Ă©pisode a dĂ©butĂ© avec la demande de suspension du dĂ©cret par l'association ProtĂ©ines France.

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Ses arguments Ă©taient, entre autres, les suivants :

🕞 L’entrĂ©e en vigueur du dĂ©cret le 1er octobre 2022, soit environ quatre mois aprĂšs sa publication, ne permettrait pas aux entreprises de modifier Ă  temps les dĂ©nominations de leurs produits

đŸš« L’interdiction d’utiliser la terminologie “spĂ©cifique de la boucherie, de la charcuterie ou de la poissonnerie " et la "dĂ©nomination d'une denrĂ©e alimentaire d'origine animale reprĂ©sentative des usages commerciaux” serait trop vague : les termes visĂ©s par cette interdiction auraient du ĂȘtre explicitement prĂ©cisĂ©s

đŸ‡ȘđŸ‡ș Le dĂ©cret mĂ©connaĂźtrait certaines dispositions du rĂšglement europĂ©en relatif Ă  l’information des consommateurs sur les denrĂ©es alimentaires car il fixe des interdictions qui ne sont pas justifiĂ©es par l'objectif d'information du consommateur, alors que ce point doit ĂȘtre regardĂ© comme expressĂ©ment harmonisĂ©.

Estimant que les conditions d’urgence et de doute sĂ©rieux sur la lĂ©galitĂ© du texte Ă©taient bien remplies, le Conseil d’Etat a ordonnĂ© la suspension partielle du dĂ©cret en juillet 2022.

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Qu'est-ce qu'un référé ?

Le rĂ©fĂ©rĂ© est une procĂ©dure d’urgence qui permet au juge de faire cesser un trouble ou prĂ©venir un dommage imminent en adoptant certaines mesures provisoires (comme la suspension d’une dĂ©cision). Le rĂ©fĂ©rĂ© se distingue donc du jugement au fond, oĂč le juge peut prescrire des mesures dĂ©finitives (comme l’annulation d’une dĂ©cision). Pour pouvoir formuler une demande de suspension devant le juge du rĂ©fĂ©rĂ©, le requĂ©rant devra :

  • ‍Avoir dĂ©posĂ© prĂ©alablement une demande d’annulation de la dĂ©cision devant le juge du fond
  • DĂ©montrer le caractĂšre urgent de sa demander
  • DĂ©montrer qu’il y a un doute sĂ©rieux sur la lĂ©galitĂ© de la dĂ©cision qu’il conteste

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La rĂ©ponse du Conseil d’Etat en tant que juge du fond

AprĂšs que la suspension ait Ă©tĂ© prononcĂ©e, des requĂ©rants ont demandĂ© l’annulation du dĂ©cret devant le Conseil d’Etat, qui s’est prononcĂ© en juillet 2023.

Il a choisi de poser deux questions prĂ©judicielles Ă  la Cour de justice de l’Union europĂ©enne (CJUE) sur l’interprĂ©tation de deux dispositions du rĂšglement 1169/2021, et de surseoir Ă  statuer jusqu’à ce qu’elle y ait rĂ©pondu.

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Episode 3 : Deux ans plus tard, un second décret

Le 27 février dernier, un nouveau décret a été publié.

Bien qu’il abroge celui de 2022, il a le mĂȘme objet : encadrer l'utilisation des dĂ©nominations dĂ©signant des produits d'origine animale pour dĂ©crire, commercialiser ou promouvoir des denrĂ©es contenant des protĂ©ines vĂ©gĂ©tales.

Il reprend globalement les mĂȘmes termes que le prĂ©cĂ©dent dĂ©cret, en prĂ©cisant notamment les dĂ©nominations qui sont autorisĂ©es pour dĂ©signer des denrĂ©es alimentaires d'origine animale contenant des protĂ©ines vĂ©gĂ©tales, et le pourcentage maximal de protĂ©ines vĂ©gĂ©tales que celles-ci peuvent contenir avant que la dĂ©nomination ne soit interdite.

Cependant, cette fois-ci, le texte prĂ©cise explicitement la liste exacte des vingt-et-un termes dont l’utilisation est interdite pour la dĂ©signation de denrĂ©es alimentaires comportant des protĂ©ines vĂ©gĂ©tales : filet, rumsteck, entrecĂŽte, escalope, jambon, 


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Episode 4 : La seconde intervention du Conseil d’Etat

Marquant le coup d’envoi d’un quatriĂšme Ă©pisode, six sociĂ©tĂ©s ont demandĂ© au Conseil d’Etat de suspendre l’exĂ©cution de ce nouveau dĂ©cret.

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Les arguments avancés sont, notamment, les suivants :

  • L’entrĂ©e en vigueur du dĂ©cret interviendrait trop rapidement pour permettre d'adapter les stratĂ©gies, modifier les marques, les dĂ©nominations, les emballages et la communication
  • Il existerait un doute sĂ©rieux sur la lĂ©galitĂ© du dĂ©cret
  • Il n’existerait pas de risque de confusion pour les consommateurs qui pourrait justifier une intervention de l’Etat
  • Le dĂ©cret mĂ©connaĂźtrait le droit de l’Union europĂ©enne
  • L’adoption du dĂ©cret mĂ©connaĂźtrait l’obligation de coopĂ©ration loyale avec la Cour de justice de l'Union europĂ©enne dans le cadre de la procĂ©dure prĂ©judicielle engagĂ©e

Face Ă  ces arguments, le Conseil d’Etat a suspendu l’exĂ©cution du dĂ©cret.

Il a notamment estimĂ© que la condition d’urgence Ă©tait satisfaite puisque le texte imposerait Ă  certaines entreprises de modifier dĂšs le 1er mai prochain la dĂ©nomination de certains produits, parfois utilisĂ©es de longue date, installĂ©es dans l'esprit des consommateurs, figurant sur les cartes des restaurateurs utilisant ces produits, et reprĂ©sentant pour certaines l'essentiel de leur chiffre d'affaires -  alors mĂȘme que les concurrents dont les produits sont fabriquĂ©s dans d'autres Etats membres pourraient continuer Ă  utiliser de telles dĂ©nominations.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat a encore une fois considĂ©rĂ© qu’il existait un doute sĂ©rieux sur la lĂ©galitĂ© du dĂ©cret, notamment en ce qui concerne la question de la mĂ©connaissance du droit de l’Union europĂ©enne.

Ce qui est certain, c’est que la sĂ©rie est loin d’ĂȘtre finie. A quand le prochain Ă©pisode ? Il faudra certainement attendre que la CJUE se prononce sur les questions prĂ©judicielles qui lui ont Ă©tĂ© soumises en 2022.

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Sources :

Décret n° 2022-947 du 29 juin 2022 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales

Conseil d’Etat, n°465844, juge des rĂ©fĂ©rĂ©s, 27 juillet 2022

Conseil d’Etat, n°465835, 9Ăšme - 10Ăšme chambres rĂ©unies, 12 juillet 2023

DĂ©cret n° 2024-144 du 26 fĂ©vrier 2024 relatif Ă  l'utilisation de certaines dĂ©nominations employĂ©es pour dĂ©signer des denrĂ©es comportant des protĂ©ines vĂ©gĂ©talesConseil d’Etat, n°492844, juge des rĂ©fĂ©rĂ©s, 10 avril 2024