⚖️ Jurisprudence : Harcèlement moral et obligation de sécurité - l’enquête interne ne s’impose pas systématiquement

Date
16/08/2024
16
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August
Auteur
L'équipe Lamy Liaisons
Catégorie
Actualités Réglementaires

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À la suite d’une dénonciation de harcèlement moral, dès lors que l’employeur a pris les mesures suffisantes de nature à préserver la santé et la sécurité de l’auteur de la dénonciation, pour la Cour de cassation, dans un arrêt du 12 juin 2024, l’absence d’enquête interne n’est pas synonyme de manquement à l’obligation de sécurité. Mais attention à circonscrire la portée de cette décision.

Une directrice des ressources humaines en arrêt maladie depuis le 18 novembre 2013 et ayant repris son travail en temps partiel thérapeutique à compter du 4 avril 2014 fait l’objet d’un licenciement pour faute grave le 4 novembre 2019.

Elle a saisi la justice le 25 novembre 2019 en contestation de la rupture de son contrat et en vue de solliciter le paiement de diverses sommes salariales et indemnitaires. Le licenciement a été déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse. Outre un désaccord sur le montant des indemnités de rupture qui lui ont été allouées (voir encadré), elle a formulé une demande de dommages intérêts au titre du manquement à l’obligation de sécurité.

L’absence d’enquête interne n’est pas rédhibitoire dès lors que l’employeur a pris les mesures suffisantes pour préserver la santé et la sécurité… dans un contexte d’arrêt de travail de la salariée

La plaignante considérant notamment que l’employeur aurait dû lancer une enquête interne après sa dénonciation de harcèlement moral, l’affaire est portée en cassation.

Mais pour la Cour de cassation, dans leur appréciation souveraine des éléments de preuve soumis, les juges du fond ont fait ressortir que l’employeur avait pris les mesures suffisantes de nature à préserver la santé et la sécurité de la salariée. Les juges d’appel ont pu en déduire, nonobstant l’absence d’enquête interne, que celui-ci n’avait pas manqué à son obligation de sécurité.

En l’espèce, la salariée DRH a fait appel au directeur général, auquel elle était hiérarchiquement rattachée directement, au sujet des différends l’opposant à une collègue du même niveau hiérarchique en dénonçant des agissements de harcèlement moral. Pour les juges d’appel, le directeur général a pris position au sujet des différends. En outre, lorsque l’autrice de la dénonciation a sollicité des éclaircissements sur son positionnement dans la nouvelle organisation avec une nouvelle direction, elle a obtenu une réponse du président de la société (devenu actionnaire majoritaire de la société) dans les trois jours.

Par ailleurs, le contrat de travail de la salariée était suspendu depuis septembre 2019 pour cause de maladie et l’employeur n’avait été informé par la salariée que le 14 août 2019 du malaise grandissant que lui causait le comportement de sa collègue.

Dans son rapport, la conseillère soulignait à ce titre que l’arrêt maladie de la salariée rendait impossible la mise en place d’une enquête interne. Si la nuance n’est pas reprise dans l’attendu, il convient de l’avoir en tête.

L’enquête interne demeure fortement conseillée voire un passage obligé dans certaines hypothèses

L'employeur est tenu de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral (C. trav., art. L. 1152-4).

Cette prescription est liée à son obligation générale de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (C. trav., art. L. 4121-1).

L’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 relatif au harcèlement et à la violence au travail (article 4) préconise de faire suivre les plaintes d’une enquête interne et de les traiter sans retard.

L'enquête vise à vérifier l’établissement des faits. Elle permet d'obtenir une bonne compréhension de la situation dénoncée et de prendre les mesures appropriées dans le but de la faire cesser (médiation, éloignement de l'auteur, aménagement du poste, etc.). Pour l'employeur, c’est un moyen de démontrer qu'il a satisfait à son obligation de sécurité et de se constituer des éléments probatoires en ce sens. Ainsi, comme rappelé dans l’avis de l’avocate générale dans l’affaire commentée, l’enquête interne est l’un des éléments qui permet à l’employeur d’établir qu’il a pris la mesure des faits qui ont été portés à sa connaissance et qu’il a essayé de faire la lumière dessus pour prendre les mesures les plus opportunes. C’est pour les parties un moyen d’être rapidement entendues et de pouvoir fournir des éléments de preuve afin d’étayer leur postion. Ce n’est donc pas le seul moyen mais incontestablement l’un des plus efficaces.

Par ailleurs, l’enquête n’est plus une option en cas de normes internes en ce sens (accord collectif par exemple). Ainsi, si dans l’entreprise est mise en place une procédure interne de traitement des situations de harcèlement, via le recours à une enquête, y échapper ne sera plus possible.

Elle n’est pas non plus une option dès lors qu’un droit d’alerte (lié notamment à la santé physique et mentale des personnes avec une atteinte résultant de faits de harcèlement moral comme sexuel) a été déclenché par un ou plusieurs membres du CSE concernant une situation de harcèlement moral ou sexuel dans l’entreprise (C. trav., art. L. 2312-59) : « L'employeur procède sans délai à une enquête avec le membre de la délégation du personnel du comité et prend les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation. ». Autrement dit, dans une telle hypothèse si le CSE fait valoir un droit d'alerte, l'employeur n’a plus le choix et doit dilligenter une enquête interne.

On peut donc continuer à la considérer dans un contexte de dénonciation comme un « plan A » voire dans certaines hypothèses comme l'unique plan envisageable.

💡 L’arrêt fournissait en parallèle un éclairage important à propos des modalités de calcul des indemnités de licenciement dans un contexte de mi-temps thérapeutique.                

Lorsqu’un salarié en temps partiel thérapeutique est licencié, le salaire de référence à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité compensatrice de préavis ainsi que celui de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, correspond au salaire perçu par le salarié antérieurement à ce temps partiel thérapeutique et à l'arrêt de travail pour maladie l'ayant, le cas échéant, précédé. L'assiette de calcul de l'indemnité légale ou conventionnelle de licenciement à retenir est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié, celle des 12 ou des trois derniers mois précédant le temps partiel thérapeutique et l'arrêt de travail pour maladie l'ayant, le cas échéant, précédé. La Haute juridiction s’appuie sur la combinaison de l'article L.1132-1 du Code du travail, interdisant toute mesure discriminatoire directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi nº 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L 3221-3, en raison notamment de son état de santé, ainsi que des articles L.1234-5, L.1235-3, L.1234-9 et R. 1234-4 du Code du travail. Ainsi, les juges optent pour une solution protectrice des droits du salarié en mi-temps thérapeutique. Cette neutralisation de la période de mi-temps thérapeutique s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence s’agissant des droits à la participation du salarié placé en mi-temps thérapeutique, dont la période pendant laquelle un salarié, en raison de son état de santé, travaille en mi-temps thérapeutique doit être assimilée à une période de présence dans l'entreprise, de sorte que le salaire à prendre en compte pour le calcul de l'assiette de la participation due à ce salarié est le salaire perçu avant le mi-temps thérapeutique et l'arrêt de travail pour maladie l'ayant, le cas échéant, précédé (Cass. soc., 20 sept. 2023, nº 22-12.293).

Il est à noter que la Cour d’appel d’Aix en Provence a d’ores et déjà fait sienne cette précision de la Haute juridiction (CA Aix en Provence, chambre 4-2, 21 juin 2024, no 20/00702).

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